mardi 28 octobre 2014

Interview

Le collectif littéraire Hénose, créé par Aaron McSley, lui-même jeune auteur de talent, m'a proposé de répondre à une interview au sujet de Nalki. J'ai bien sûr accepté, et même avec enthousiasme (étonnant, n'est-ce pas ?). Je savais qu'Aaron avait lu le roman, les questions risquaient donc d'être pertinentes...


Et pour les paresseux ceux qui n'ont pas le courage de cliquer sur le lien, voici un copié/collé :

"Pour notre toute première interview signée Hénose, nous nous sommes intéressés à une autrice lilloise en la personne d'Alice Adenot-Meyer. Et plus particulièrement, c'est autour de son roman nouvellement parus aux éditions du Lamantin que se sont tournées nos questions.

Transportés par
les aventures de Nalki, nous voulions à tous prix la présence de cette écrivaine pour cette grande première.

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Musicienne de profession, la musique est tout logiquement la principale source d'inspiration d'Alice Adenot-Meyer, bien que forêt et montagne tiennent une place importante dans son imaginaire
Alice a été récompensée en 2012 lors du salon de la Bassée du Prix Coup de Cœur Jeunesse

Piège dans les Ruines, aux éditions Kirographaires, 2012
Nalki, Tome I : Matricule 307, aux éditions du Lamatin, 2014
Nalki, Tome II : Le Temps du Chaos, aux éditions du Lamantin, 2014Piège dans les Ruines, réédition, aux éditions Rebelle, 2016

Alice, Nalki est un roman en deux tomes suivant le parcours de deux jeunes adolescents – frères et sœurs – déportés dans un camp de « redressement » suite à des tensions communautaires, le tout se situant dans une société dystopique proche de ce que notre propre Histoire peut nous faire connaître. Comment t’est venue l’idée, l’envie, d’aborder des thèmes aussi difficiles que ceux-là ?
Je m’intéresse depuis longtemps à la période de la seconde Guerre Mondiale et aux camps nazis. J’ai lu aussi beaucoup d’ouvrages sur le Goulag et l’univers concentrationnaire en général. Au 20ème siècle, l’homme a atteint des sommets en matière de barbarie organisée. Malheureusement, ce type de système oppressif existe toujours dans certains pays aux mains de régimes totalitaires, et il me semble que nulle part nous ne sommes à l’abri de telles dérives. Les sociétés se clivent, les personnes de cultures différentes ont tendance à se comprendre de moins en moins et les grandes puissances sont de plus en plus prédatrices. Je ne vois pas l’avenir avec beaucoup d’optimisme, et cela transparaît sans doute dans la vision du monde imaginaire que j’ai créé comme toile de fond pour Nalki. En même temps, il ne faut pas prendre la lutte entre la Serdane et la Forsénie trop au sérieux. On peut y voir aussi des régimes fantoches et un clin d’œil à Tintin, avec les rivalités entre Bordures et Syldaves... En fait, je voulais surtout mettre en place un contexte très tendu pour confronter mes héros à des situations extrêmes où pourraient se révéler leurs véritables personnalités.
« Le personnage (du colonel) Vladàn constituait un des éléments les plus importants/intéressants du roman, il n’était pas question de le modifier ou de « lisser » sa personnalité. »
La musique tient une place importante dans ton œuvre, ce qui contraste totalement avec la dureté des camps. Cette dernière est d’ailleurs apportée par le Colonel Vladàn (le directeur du camp où sont internés notre héros et sa sœur), personnage que Nalki aura bien du mal à cerner. Cette échappatoire, cette lueur d’espoir s’est-elle toute de suite imposée lorsque tu as commencé à construire l’histoire ?
Oui, pour moi, la présence de l’orchestre était essentielle. Nalki et sa sœur vont trouver dans la musique une planche de salut. D’ailleurs, de tels cas ont existé dans les camps nazis, il existe plusieurs témoignages à ce sujet. Mais évidemment, ce qui fait la spécificité du roman, c’est cette relation compliquée, ambiguë qui s’établit entre Nalki et le colonel Vladàn. L’adolescent se sent manipulé à travers la mise en avant qui est faite par le colonel de son talent de musicien. Il va avoir le sentiment de trahir son camp en acceptant les conditions de Vladàn qui veut le contraindre à jouer en soliste. Ce dilemme est au cœur du roman (enfin, du premier tome surtout). D’autre part, l’intérêt excessif que lui porte Vladàn le met mal à l’aise. Il sent qu’il y a là plus, ou autre chose qu’un intérêt strictement musical, et il juge cela malsain. Donc, malgré le confort relatif qu’offre le statut de musicien au camp, Nalki va vouloir s’enfuir à tout prix.
En parlant de Vladàn, ce protagoniste reste tout de même assez particulier pour un roman jeunesse. Ton éditeur t’a-t-il laissé carte blanche concernant ce personnage et ses agissements ou bien des remaniements ont-ils été entrepris ?
Oui, la maison d’édition m’a laissé une totale liberté et ne m’a pas « censurée ». À leurs yeux, le personnage de Vladàn constituait un des éléments les plus importants/intéressants du roman, il n’était pas question de le modifier ou de « lisser » sa personnalité. Les ados du comité de lecture n’avaient pas été spécialement choqués par son attitude, cela a confirmé l’équipe éditoriale dans son choix de conserver à ce personnage toute son… ambigüité, quitte à ce que certains aspects ne soient perçus/compris que par les lecteurs adultes.
« Une phrase doit être bien balancée, il faut qu’il y ait du rythme, et quelque chose de mélodieux, aussi. Une sorte de flux qui emporte le lecteur. »
En tant que musicienne de profession, est-ce que la musique t’influence dans ta manière d’écrire, de travailler tes romans, de penser ton texte ?
Je parle beaucoup de musique dans mes romans, parce que c’est ma vie, ma passion, et que je préfère décrire ce qui m’est familier. Tant qu’à faire, je risque moins de raconter des bêtises et je me sens plus en empathie avec mes personnages. En ce qui concerne l’écriture à proprement parler, il est vrai que je suis loin d’être une styliste, mais je recherche quand même une certaine musicalité dans le texte. En me relisant, je traque les « fausses notes »… Une phrase doit être bien balancée, il faut qu’il y ait du rythme, et quelque chose de mélodieux, aussi. Une sorte de flux qui emporte le lecteur. Mais c’est complètement instinctif, ne me demande pas comment je m’y prends !
Y a-t-il des auteurs/autrices qui t’ont marquée, qui t’ont donné l’envie d’écrire, voire même que tu retrouves dans ta propre écriture ?
Oh la la, il y a énormément d’auteurs qui m’ont marquée. J’adore tout particulièrement les classiques russes (Tolstoï, Dostoïevski, etc.), mais je ne peux faire une liste, il y en a trop (et à mon âge, on a forcément beaucoup lu). Comme j’écris pour les ados/jeunes adultes, mes références dans ce domaine sont Robin Hobb, Lian Hearn, J.K. Rowling, J.R.R. Tolkien, P. Pullman, Orson Scott Card, mais aussi Dickens ou Jane Austen (pourquoi uniquement des anglophones ?)… mais je ne sais pas du tout si on retrouve leur influence dans mon écriture. J’aimerais bien, mais j’en doute un peu…
« J’ai un autre manuscrit en recherche d’éditeur, une histoire qui associe musique et magie. »
Nalki est sorti cet été aux éditions du Lamantin tandis que Piège dans les ruines (précédemment publié en 2012 chez Kirographaires) ressortira courant 2016 chez Rebelle Édition. À quoi pouvons-nous nous attendre pour le futur ? Sur quoi es-tu actuellement en train de travailler ?
J’ai un autre manuscrit en recherche d’éditeur, une histoire qui associe musique et magie. Pour l’instant, je n’ai fait que des envois électroniques (moins coûteux !) mais il faudra peut-être me résoudre à envoyer des versions papier. Je tente les « gros » avant d’aller frapper aux portes des « petits ». Mais bon, je n’y crois pas trop. Et sinon, j’écris très peu en ce moment. Il me manque une idée forte qui m’aiguillonne, mais je suis patiente, je sais qu’elle va germer un de ces jours, et que l’inspiration reviendra (du moins je voudrais le croire)…
Musique et magie ? Eh bien, nous ne pouvons que te souhaiter de trouver éditeur à ton manuscrit ! Aussi, qu’est-ce qui t’a poussée à écrire de la littérature jeunesse ? Penses-tu un jour te tourner vers une autre catégorie ?
Je ne me sens pas encore mûre pour me lancer dans l’écriture pour adultes. La littérature jeunesse me semble plus accessible. J’ai moi-même été très marquée par certaines lectures de ma période « ado » (comme Le seigneur des anneaux) et l’idée de proposer aux jeunes une lecture qui les passionne me plaît tout autant que celle d’entrer dans le cercle (recherché) des auteurs pour adultes.
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Toujours au top Mads, toujours au top.
Dernière question, qui est celle-là beaucoup moins sérieuse mais que j’ai très envie de te poser en tant que lecteur (et revêt donc ma simple toque d'Aaron McSley) : suis-je le premier à te dire que durant ma lecture, je ne pouvais m’empêcher d’imaginer le colonel Vladàn sous les traits de Mads Mikkelsen (Hannibal, Pusher, La Chasse, …) ?
Ah ha ha… oui, tu es le premier ! Du coup, j’ai « googuelisé » le nom de Mads Mikkelsen (je ne voyais pas trop de qui il s’agissait)… et je l’ai reconnu : je l’avais vu jouer dans Michael Kohlhaas. Un très bel homme ! En décrivant Vladàn, je ne pensais pas du tout à cet acteur, mais maintenant que tu le dis, son physique évoque tout à fait les traits « taillés au couteau » du colonel. La couleur des yeux n’est pas la même, par contre, mais globalement, c’est en effet ainsi qu’on peut l’imaginer !"

mercredi 1 octobre 2014

Une chronique toute fraîche

J'ai eu le plaisir de découvrir une nouvelle chronique du Tome 1 fraîchement publiée sur ce blog très intéressant : Le monde de Paikanne
Merci à Paikanne pour ce très beau billet ! 
Je me permets de copier/coller l'article ici :

29/09/2014

Nalki, T. 1 : Matricule 307, Alice Adenot-Meyer

Présentation. Nous sommes en Serdane, pays écrasé sous le joug d'une dictature brutale et corrompue.
En rentrant de leur cours de musique, Nalki, quinze ans, et sa sœur Perle, treize ans, sont accueillis par des policiers venus les arrêter. Les deux adolescents sont séparés de leurs parents et déportés dans un camp de redressement.
Soumis au travail forcé, ils vivent des heures particulièrement difficiles et rêvent de trouver un moyen pour regagner leur liberté.

Nalki1.jpg
Mon avis. C'est le billet de Melisende (merci à toi, Meli !) qui m'a fait découvrir et acheter ce récit. En voici encore un qui rejoindra les propositions susceptibles d'intéresser mes élèves.
Le récit commence à dérouler sa partition alors que Nalki s'en revient du Conservatoire, en compagnie de sa sœur, Perle. Tous deux portent la musique dans le cœur, jusqu'au bout des doigts : lui, le violon ; elle, le violoncelle.
Arrivés chez eux, ils entrouvrent la porte de l'enfer : la police a investi leur domicile, leurs parents ont disparu et ils sont aussitôt emmenés à Blache, un camp de redressement destiné à (re)mettre "sur le droit chemin" ceux qui auraient dévié de la route uniforme tracée par le dictateur serdan Sorbier Pamor.
L'horrible lieu fait inévitablement penser aux camps de concentration nazis : séparation des filles et garçons, appel interminable dans le froid, brimades, coups, humiliations, faim, travaux forcés. Le seul "tort" pour bon nombre d'entre eux : avoir de la famille forsenne. Les citoyens de nationalité forsenne sont devenus, depuis quelque temps, des parias.
"Les détenus marchaient dans un silence presque total. Le chemin s'ouvrait devant eux, taillé comme une blessure dans les profondeurs sauvages de la forêt. [p. 47]
  "Face à la violence et l'agressivité qui sévissaient dans le camp, il se sentait démuni. Tous ses repères s'effondraient. [p. 54]
  "Nalki et Saule avaient cessé de compter les jours. Ils évaluaient la durée de leur détention à trois semaines environ.
   Un enfer, du lever au coucher.
   Le pire était sans conteste la faim. Elle torturait Nalki en permanence, tournait à l'obsession.
   Abruti, les membres douloureux, tremblant de froid et affamé tout au long de la journée, il tombait la nuit dans un sommeil trop agité pour être reposant.
   Perle, il ne l'apercevait qu'à l'appel, tôt le matin. Au fil des jours, le visage de la jeune fille se tendait, se creusait. Le frère et la sœur échangeaient de loin des regards sinistres." [p. 55]

Nalki est intelligent : il comprend vite qu'il a intérêt à faire profil bas s'il veut survivre dans cet enfer ; pourtant, il a parfois bien du mal à se contrôler car la révolte face à l'injustice gronde au plus profond de lui.
C'est alors qu'une infime lumière vient éclairer le gouffre noir dans lequel il est plongé : la musique n'a pas joué sa dernière note. Mais se retrouver aux prises avec le colonel Vladàn n'est pas une sinécure. Vraiment pas....
J'ai beaucoup aimé l'écriture d'Alice Adenot-Meyer : même si le récit s'adresse aux adolescents, la langue est très riche et ne tombe jamais dans la facilité.
Les personnages sont nuancés, ce qui les rend particulièrement intéressants : je pense à Nalki, heureux de s'épargner les corvées imposées et manger à sa faim en intégrant l'orchestre du camp mais se sentant coupable par rapport à ses compagnons d'infortune ; je pense au colonel Vladàn, un être face auquel il est difficile de savoir sur quel pied danser. "Jouer" au funambule devient alors un art...
Je lirai bien sûr le tome 2.