Alice,
Nalki est un roman en deux tomes suivant le parcours de deux jeunes
adolescents – frères et sœurs – déportés dans un camp de « redressement »
suite à des tensions communautaires, le tout se situant dans une
société dystopique proche de ce que notre propre Histoire peut nous
faire connaître. Comment t’est venue l’idée, l’envie, d’aborder des
thèmes aussi difficiles que ceux-là ?
Je
m’intéresse depuis longtemps à la période de la seconde Guerre Mondiale
et aux camps nazis. J’ai lu aussi beaucoup d’ouvrages sur le Goulag et
l’univers concentrationnaire en général. Au 20ème siècle, l’homme a
atteint des sommets en matière de barbarie organisée. Malheureusement,
ce type de système oppressif existe toujours dans certains pays aux
mains de régimes totalitaires, et il me semble que nulle part nous ne
sommes à l’abri de telles dérives. Les sociétés se clivent, les
personnes de cultures différentes ont tendance à se comprendre de moins
en moins et les grandes puissances sont de plus en plus prédatrices. Je
ne vois pas l’avenir avec beaucoup d’optimisme, et cela transparaît sans
doute dans la vision du monde imaginaire que j’ai créé comme toile de
fond pour Nalki. En même temps, il ne faut pas prendre la lutte entre la
Serdane et la Forsénie trop au sérieux. On peut y voir aussi des
régimes fantoches et un clin d’œil à Tintin, avec les rivalités entre
Bordures et Syldaves... En fait, je voulais surtout mettre en place un
contexte très tendu pour confronter mes héros à des situations extrêmes
où pourraient se révéler leurs véritables personnalités.
«
Le personnage (du colonel) Vladàn constituait un des éléments les plus
importants/intéressants du roman, il n’était pas question de le modifier
ou de « lisser » sa personnalité. »
La
musique tient une place importante dans ton œuvre, ce qui contraste
totalement avec la dureté des camps. Cette dernière est d’ailleurs
apportée par le Colonel Vladàn (le directeur du camp où sont internés
notre héros et sa sœur), personnage que Nalki aura bien du mal à cerner.
Cette échappatoire, cette lueur d’espoir s’est-elle toute de suite
imposée lorsque tu as commencé à construire l’histoire ?
Oui,
pour moi, la présence de l’orchestre était essentielle. Nalki et sa
sœur vont trouver dans la musique une planche de salut. D’ailleurs, de
tels cas ont existé dans les camps nazis, il existe plusieurs
témoignages à ce sujet. Mais évidemment, ce qui fait la spécificité du
roman, c’est cette relation compliquée, ambiguë qui s’établit entre
Nalki et le colonel Vladàn. L’adolescent se sent manipulé à travers la
mise en avant qui est faite par le colonel de son talent de musicien. Il
va avoir le sentiment de trahir son camp en acceptant les conditions de
Vladàn qui veut le contraindre à jouer en soliste. Ce dilemme est au
cœur du roman (enfin, du premier tome surtout). D’autre part, l’intérêt
excessif que lui porte Vladàn le met mal à l’aise. Il sent qu’il y a là
plus, ou autre chose qu’un intérêt strictement musical, et il juge cela
malsain. Donc, malgré le confort relatif qu’offre le statut de musicien
au camp, Nalki va vouloir s’enfuir à tout prix.
En
parlant de Vladàn, ce protagoniste reste tout de même assez particulier
pour un roman jeunesse. Ton éditeur t’a-t-il laissé carte blanche
concernant ce personnage et ses agissements ou bien des remaniements
ont-ils été entrepris ?
Oui, la
maison d’édition m’a laissé une totale liberté et ne m’a pas « censurée
». À leurs yeux, le personnage de Vladàn constituait un des éléments les
plus importants/intéressants du roman, il n’était pas question de le
modifier ou de « lisser » sa personnalité. Les ados du comité de lecture
n’avaient pas été spécialement choqués par son attitude, cela a
confirmé l’équipe éditoriale dans son choix de conserver à ce personnage
toute son… ambigüité, quitte à ce que certains aspects ne soient
perçus/compris que par les lecteurs adultes.
« Une
phrase doit être bien balancée, il faut qu’il y ait du rythme, et
quelque chose de mélodieux, aussi. Une sorte de flux qui emporte le
lecteur. »
En
tant que musicienne de profession, est-ce que la musique t’influence
dans ta manière d’écrire, de travailler tes romans, de penser ton texte ?
Je
parle beaucoup de musique dans mes romans, parce que c’est ma vie, ma
passion, et que je préfère décrire ce qui m’est familier. Tant qu’à
faire, je risque moins de raconter des bêtises et je me sens plus en
empathie avec mes personnages. En ce qui concerne l’écriture à
proprement parler, il est vrai que je suis loin d’être une styliste,
mais je recherche quand même une certaine musicalité dans le texte. En
me relisant, je traque les « fausses notes »… Une phrase doit être bien
balancée, il faut qu’il y ait du rythme, et quelque chose de mélodieux,
aussi. Une sorte de flux qui emporte le lecteur. Mais c’est complètement
instinctif, ne me demande pas comment je m’y prends !
Y
a-t-il des auteurs/autrices qui t’ont marquée, qui t’ont donné l’envie
d’écrire, voire même que tu retrouves dans ta propre écriture ?
Oh
la la, il y a énormément d’auteurs qui m’ont marquée. J’adore tout
particulièrement les classiques russes (Tolstoï, Dostoïevski, etc.),
mais je ne peux faire une liste, il y en a trop (et à mon âge, on a
forcément beaucoup lu). Comme j’écris pour les ados/jeunes adultes, mes
références dans ce domaine sont Robin Hobb, Lian Hearn, J.K. Rowling,
J.R.R. Tolkien, P. Pullman, Orson Scott Card, mais aussi Dickens ou Jane
Austen (pourquoi uniquement des anglophones ?)… mais je ne sais pas du
tout si on retrouve leur influence dans mon écriture. J’aimerais bien,
mais j’en doute un peu…
« J’ai un autre manuscrit en recherche d’éditeur, une histoire qui associe musique et magie. »
Nalki
est sorti cet été aux éditions du Lamantin tandis que Piège dans les
ruines (précédemment publié en 2012 chez Kirographaires) ressortira
courant 2016 chez Rebelle Édition. À quoi pouvons-nous nous attendre
pour le futur ? Sur quoi es-tu actuellement en train de travailler ?
J’ai
un autre manuscrit en recherche d’éditeur, une histoire qui associe
musique et magie. Pour l’instant, je n’ai fait que des envois
électroniques (moins coûteux !) mais il faudra peut-être me résoudre à
envoyer des versions papier. Je tente les « gros » avant d’aller frapper
aux portes des « petits ». Mais bon, je n’y crois pas trop. Et sinon,
j’écris très peu en ce moment. Il me manque une idée forte qui
m’aiguillonne, mais je suis patiente, je sais qu’elle va germer un de
ces jours, et que l’inspiration reviendra (du moins je voudrais le
croire)…
Musique
et magie ? Eh bien, nous ne pouvons que te souhaiter de trouver éditeur
à ton manuscrit ! Aussi, qu’est-ce qui t’a poussée à écrire de la
littérature jeunesse ? Penses-tu un jour te tourner vers une autre
catégorie ?
Je
ne me sens pas encore mûre pour me lancer dans l’écriture pour adultes.
La littérature jeunesse me semble plus accessible. J’ai moi-même été
très marquée par certaines lectures de ma période « ado » (comme Le seigneur des anneaux)
et l’idée de proposer aux jeunes une lecture qui les passionne me plaît
tout autant que celle d’entrer dans le cercle (recherché) des auteurs
pour adultes.
Toujours au top Mads, toujours au top.
Dernière
question, qui est celle-là beaucoup moins sérieuse mais que j’ai très
envie de te poser en tant que lecteur (et revêt donc ma simple toque
d'Aaron McSley) : suis-je le premier à te dire que durant ma lecture, je
ne pouvais m’empêcher d’imaginer le colonel Vladàn sous les traits de
Mads Mikkelsen (Hannibal, Pusher, La Chasse, …) ?
Ah
ha ha… oui, tu es le premier ! Du coup, j’ai « googuelisé » le nom de
Mads Mikkelsen (je ne voyais pas trop de qui il s’agissait)… et je l’ai
reconnu : je l’avais vu jouer dans Michael Kohlhaas. Un très bel homme !
En décrivant Vladàn, je ne pensais pas du tout à cet acteur, mais
maintenant que tu le dis, son physique évoque tout à fait les traits «
taillés au couteau » du colonel. La couleur des yeux n’est pas la même,
par contre, mais globalement, c’est en effet ainsi qu’on peut l’imaginer
!"